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La nouvelle adresse du Fonds Régional d'Art Contemporain (FRAC) de Lorraine.
(avant-propos et contribution à une cryptologie des logis)

Du 1 bis de la rue des Trinitaires et de saint Livier.

Si l’on suit Georges Perec,dont le nom,
en cette langue hébraïque (1) (dont Rabelais réfugié à Metz et médecin de la ville en 1546 - prônait l’apprentissage pour les saintes lettres en plus du grec, de la chaldaïque et de l’ arabique),
signifie “chapitre”:

“l’alignement de deux séries d’immeubles parallèles détermine ce que l’on appelle une rue...de plus, la rue est ce qui permet de repérer les maisons... Il existe différents systèmes de repérage, le plus répandu, de nos jours et sous nos climats, consiste à donner un nom à la rue et des numéros aux maisons...” (2)

Le 1 bis de la rue des Trinitaires constitue en soi une équation entre nom et nombre. Le bis signifie, à la manière d’un bégaiement(3), une insistance tant sur le chiffre 1 que , par l’idée de redoublement qu’il recouvre , sur le chiffre suivant, en l’occurence le trois, sans que l’on puisse effectivement déterminer si le numéro de l’immeuble “est pair ou impair”(4). L’enchassement de ce pas-de-deux dans la rue des frères de la Trinité prend valeur de message chiffré et de mise en ordre numérique.

L’histoire ou la légende a fait de Saint Livier un “martyr romain et messin qui, en 451 défendit Metz contre Attila, fut fait prisonnier et décapité.” L’intervention d’Attila, roi des Huns et arrêté en 451 à Troyes par sainte Geneviève, pourrait constituer un premier indice, sinon d’une falsification de l’histoire, pour le moins d’une construction fantaisiste basée sur un procédé mnémotechnique. En effet, sur le plan phonétique, des “Huns aux remparts de Troyes au 1bis des Trinitaires” paraît comptine bâtie sur un isomorphisme. Marquant un trébuchement de l’histoire messine face à la horde hunnique, à moins que cela ne soit là rot coquet ou hoquet de l’histoire hunnique face à Metz, le bis fait rappel: en 451, Attila deux fois stoppa son pas, dont la première à Troyes, puis à Metz commis l’impair de décapiter Livier qui en devint saint, inscrivant là un nouveau chapitre au registre de la martyrologie messine et pour l’éternité trinitaire.(5)

La légende rapporte que saint Livier, lorsqu’il fut décapité à la côte saint Jean , près de Moyenvic, ramassa sa tête et la posa par terre. Une source jaillit de cet endroit. Ce miracle motiva le retrait des Huns. Acte de foi que de croire aux miracles, celui des Huns tournant les talons(6) n’étant pas le moindre. En arrière fond de ce sacrifice, la transformation du sang en eau vive, celle-ci pouvant être interprétée comme une régénération et le renouvellement d’une Alliance avec la terre. “Pour l’herméneutique biblique, qui conçoit les événements de l’ancien testament comme annonçant la vie de Jésus, la source qui jaillit dans le désert, sous l’action de Moïse, symbolise la plaie au flanc du Christ, dont le sang, ainsi que l’eau baptismale, porte en lui la rédemption de l’humanité.”(7)

Le prénom Livier pourrait être vu comme tronqué de l’Initiale O et désigner le Mont des - et le jardin des - . Sur le plan phonétique, eau/O pourrait faire trace du miracle évoqué. D’un point de vue graphique, la lettre O représente une tête assez nette. L’absence de cette initiale capitomorphe pourrait donc inscrire en creux au pied de la lettre la décollation du héros tout autant que son accès au “Paradis des élus que symbolise en fin de compte l’Olivier”(8) . Livier serait donc jusque dans le corps des lettres le corps même de l’être qui arrêta l’Hun et les désordres des hordes. En soi, une relique sémantique contenant une part de la présence du sanctifié à la substantifique moëlle transubstantifiée.

LIVIer étant présenté, outre messin, comme romain, il est aussi possible d’envisager le nom du saint comme un message crypté, littéralement en chiffres romains. Ce jeu de traduction permettrait alors de comprendre comment le O de Olivier a pu disparaître puisque dans cette manière d’aligner les bâtons, le zéro de compte pas (9). S’il est impossible d’attribuer valeur à LIVI, tant numérique que d’hypothèse, les trois premières lettres de LIVier donnent le chiffre 54 qui correspond au nombre de cartes dans un jeu du même nombre, jokers compris. Un jeu de 54 cartes contient 52 cartes correspondant au 52 semaines de l’année et les jokers venant en remplacement d’une carte pouvant être pris comme indice d’un bis au même titre que les deux i de Livier, dans un souci de simplification, superposent le mil et l’un pour n’en faire qu’un. ( En anglais, Olivier se dit Oliver (10) , marquant l’aspect superfétatoire du redoublement du i ). Enfin, pour épuiser les hypothèses sur cette mise en chiffre du nom Livier, il se peut qu’il s’agisse simplement d’ une abrévation de LIV. Ier, soit le LIVRE Premier. On peut supposer que, tout comme les Fêtnat issus des amours de l’abréviation(11) postocalendariale(12) et de l’apostolat missionnaire, Livier serait né d’une promiscuité avec le premier Livre fait Tome.(13)

S’il a existé comme défenseur de la cité messine, Livier est avant tout message. En tant que tel, il importe de le déchiffrer.
L’anagrammisation, par les ressorts narratifs qu’elle fait jouer, constitue une méthode d’approche et circonscription du sens par les bordures. Ainsi “virile”,

du latin virilus, de vir, homme . Propre à l’homme, au sexe masculin 2. Qui témoigne de l’énergie, de la fermeté, de la résolution que la tradition prête au sexe masculin. Action virile, langage viril.”(14)
fournit un nouvel éclairage sur les principes contenus dans la toponymie. Construire un lieu dévolu à l’accueil de l’art pourraît être une métaphore de ce principe, que travestit la féminisation de l’adjectif. Du même coup, le 1 bis - plus tout à fait 1 (15) - se teinte d’hermaphrodisme; la recherche onomastique devient pure expression des plaisirs transtextuels, le nom de Livier révèle alors ce qu’il est: le LIVRE. Le numéro 1 bis se lit alors comme le redoublement du i de Livier, simple artifice pour voiler son objet tout en signalant, par le bégaiement, une conversion qui, appliquée au Livre saint, peut représenter le passage de l’ancien au nouveauTestament. D’un point de vue étymologique, la décapitation du saint est construite sur le glissement du latin capitulum ( chapitre) à caput, capitis ( tête). Au-delà du sang versé à la cause chrétienne, il se peut que la narration de la décollation d’une partie de ce corps - ici corps du Livre - marque une volonté chrétienne d’inscrire dans l’Histoire la séparation des Testaments. Cette hypothèse est étayée par le fait que le nom de la rue des Trinitaires, qui “n’est pas antérieur au 23 février 1561 (16) ”, à l’identique de la Place Sainte Croix - recouvre celui de la rue Jurue - “dont l’origine du nom “vicus qui dicitur judeorum” (rue que l’on dit des juifs) laisse entrevoir la singulière extension du quartier où résidait la communauté juive de Metz, avant son expulsion de la cité au XII ème siècle.”(17)

Dans le rapport(18) qui est fait de la légende de saint Livier, Il est mention, quoi que sur un registre profane, d’une telle démarcation narrative: “ La chanson de geste Roman de saint Livier, fin XIIIème, (...) est une sorte de roman de chevalerie, démarqué de la Geste des Lorrains et vraisemblablement rédigé dans l’entourage des Le Gronais(19) , importante famille de marchands et financiers messins”. La notice précise aussi que le texte original a été “perdu, rapporté dans le petit cartulaire de Saint-Arnoul et résumé en prose par Philippe de Vigneulles au XVIème siècle (Chronique I, 65(20) )”. Cet original soit-disant perdu fait trace de la nécessité des trames fictionnelles constitutives de l’Histoire tout en mentionnant à l’origine de la légende, un livre ancestral. Ce livre-souche mythique demeurant hors d’atteinte pour cause de perte, il prend force de parole digne de foi en demandant au lecteur de croire le narrateur... sur parole.

La date rapportée du martyr de saint Livier, associée à celle de l’invasion hunnique de 451, présente certes un décalage de quelques siècles avec le baptême de la rue des frères de la Trinité “dont la maison est détruite pour l’établissement de la citadelle et qui sont relogés dans l’Hôtel de l’Abbé de Gorze(21) , appelé la Cour d’Orme.” (22) Cet argument lié à une construction de l’histoire s’appuyant sur la chronologie suppose que les écrits rapportant l’Histoire sont tenus pour vrais, de la même manière que les images ont cette propriété de “créer l’illusion qu’elles contiennent une part de ce qu’elles représentent” (23). Cette croyance en ce qui est écrit traduit un acte de foi renouvelé de la part du lecteur. Une mise en tension transhistorique, tout en générant un doute salutaire, dégage les isomorphismes participant de la construction narrative d’un lieu. Ainsi la date du martyr de saint Livier (451) rapportée à celle de la destruction de la maison des Trinitaires (1561) semble procèder d’un artifice: En effet, si l’on ramène 1561 à 562 en additionnant les “1” afin d’éluder ce “bissage” , et que l’on compare 451 à 562(24). , on voit dans le rapport des chiffres une progression arithmétique dite “de raison +1”(25) . Si on soustrait le premier nombre du second ( 562 - 451) on obtient 111. Nombre trinitaire s’il en est qui signe d’ un calvaire monogramme la redondance des sacrifices fondateurs : celui du saint défenseur de la Cité, puis de la maison des religieux, détruite pour édifier une nouvelle citadelle.

Récemment, lors des travaux de rénovation de l’Hôtel saint Livier, une fresque murale du XVIIème siècle est mise à jour. Là encore, le bis fait symptôme dans les hypothèses interprétatives de cette oeuvre.

La première version de l’identification de l’iconographie (26) présente ( toutefois avec prudence) la fresque a tempera comme une représentation de la Visite de la Reine de Saba à Salomon: “Le souverain porte une couronne aux pointes très marquées et un grand collier. Des personnages barbus sont présents derrière le trône. Deux serpents occupent l’espace vide du premier plan. (...) On peut envisager une représentation d’une visite de la Reine de Saba au roi Salomon (...) néamoins la présence des serpents est inexpliquée.”

Indépendamment d’une vérification, l’hypothèse de la visite de la Reine de Saba à Salomon nous apparaît intéressante en tant que première formulation (27) car elle figure par un commentaire biblique l’énigme-même que pose la fresque aux historiens :

“La Reine de Saba apprit la renommé que possédait Salomon, à la gloire de l’Eternel, et elle vint pour l’éprouver par des énigmes.(...) Elle se rendit auprès de Salomon et elle lui dit tout ce qu’elle avait dans le coeur. Salomon répondit à toutes ces questions et il n’y eut rien que le roi ne sut lui expliquer.” (28)

Quant à la présence des serpents , elle prend valeur d’énigme(29) et il convient qu’elle reste inexpliquée.

La deuxième version de l’identification est datée du 2 décembre 2002: “Il pourrait s’agir de Moïse et Aaron devant Pharaon (ou le bâton d’Aaron changé en serpent)”.

“L’Eternel dit à Moïse et à Aaron: Si Pharaon vous parle, et vous dit: Faites un miracle! Tu diras à Aaron: prends ta verge, et jette-là devant Pharaon. Elle deviendra un serpent. Moïse et Aaraon allèrent auprès de Pharaon, et ils firent ce que l’Eternel avait ordonné. Aaron jeta sa verge devant Pharaon et devant ses serviteurs; et elle devint un serpent. Mais Pharaon appela des sages et des enchanteurs; et les magiciens d’Egypte, eux aussi en firent autant par leurs enchantements. Ils jetèrent tous leurs verges et elles devinrent des serpents. Et la verge d’Aaron engloutit leurs verges. Le coeur de Pharaon s’endurcit, et il n’écouta point Moïse et Aaron selon ce que l’Eternel avait dit.”(30)

En tant que figure de la pensée en mouvement, le thème de la verge d’Aaron, vient après celui de la Reine de Saba, comme s’il avait été nécessaire de poser une première formulation pour, l’écartant, en oser une plus plausible. La deuxième hypothèse, qui peut être dite l’hypothèse bis, prend force de vérité opératoire(31) et gomme la première version de la même manière que le serpent a dévoré les sortilèges des enchanteurs de Pharaon. Nous percevons jusque dans ce travail de précision scientifique qu’est l’identification d’une oeuvre historique, l’essence métaphorique du bis qui - ainsi qu'en hébreu, une voyelle a besoin d’être portée par une consonne (32) pour exprimer le son qu’elle véhicule (33) - est nécessairement porté par le chiffre qui le précède. Signe nomade pouvant s’accoler au numérus de n’importe quelle huis, le bis qualifie le numéro de la maison en référence à celui de la porte voisine, déjà lu pour peu qu’on prenne la rue dans le sens de la numérotation. Il s’en empare et l’affecte d’une valeur abstraite, signifiant une in-décision originale. En terme d’espace, il génère un interstice(34) et occupe, dans le P.O.S. des nombres entiers, un lieu intermédiaire.

Signalant et signant un lieu dédié à l’art contemporain, le monogramme 1 bis énonce le contrat social entre l’accueillant et l’ accueilli, c’est à dire entre un lieu fixe, sédentaire, chargé de son histoire et défini comme un axe symbolisé par le chiffre 1, et une identité d’essence nomade ( l’art en marche ne pouvant s’identifier qu’ au bis) dont la vocation est d’y “faire des miracles” en y opérant ses propres conversions, c’est dire trans-figurer le lieu tout en prenant sa valeur dans la rencontre.

Michel Jeannès, février 2003.

(Texte rédigé sur une aimable invitation de Béatrice Josse, directrice du FRAC Lorraine, et publié dans les Cahiers théoriques du FRAC Lorraine, n°1bis, relu et mis en ligne et en liens par l'auteur en novembre 2006)

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