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In aeternum

Un jour , qu’une lettre faisant état de l’événement permet de situer dans le temps à une date antérieure au 13 août 1998, je passe en voiture devant le cimetière de Caluire. Au moment précis où je remarque l’inscription “in aeternum” sur le fronton de l’entrée, j’éternue.

Eternuer au volant est une action relativement complexe puisque l’on est obligé de maintenir le cap du véhicule tout en sacrifiant au rituel du corps qui tente d’expulser les micro agresseurs. Dans le mouvement même de l’éternuement à cet instant et ce lieu précis, tête plongeant en avant, je saisis la portée métaphysique de l’éternuement, laps de temps qui tente d’échapper au temps, petite mort, quasi orgasmique, de l’enrhumé qui, yeux fermés, touche à l’éternité le temps de l’une fracassante expiration.

J’en projette une performance au cours de laquelle j’offrirai aux convives mouchoirs de fine baptiste et poudre à éther-nuées, dans le seul but de partager avec eux un instant d’éternité.

Seulement voilà : le quotidien m’absorbe comme un mouchoir les mocos. Je repense à cette performance d’hiver en hiver, chaque fois que j’éternue ou repasse devant le cimetière de Caluire. L’hiver, comme tout un chacun, je reste calfeutré et oublie de convier le public fidèle à venir en ma compagnie plonger dans un mouchoir. A la Toussaint, l’invitation n’est pas décente. A Noël, la Nativité n’autorise pas les expirations, au printemps ce n’est plus le moment , sinon pour les allergiques. Une performance qui reste en suspens, comme un éternuement retenu, un picotement des narines... du temps suspendu.

Michel Jeannès, Février 2002
texte mis en ligne par l'auteur en novembre 2006


extrait de In aeternum, carte blanche à Michel Jeannès, Préoccupations , n°17, Galerie L'Ollave, Rustrel, 2002,p.1
directeur de la publication: Jean de Breyne