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Notes pour une sémiologie de l’oeuvre-monogramme
à propos du jeu du Fort/da décrit par Freud

Rappel de la méthode

Notre lecture des oeuvres d’art procède d’un rabat de l’esthétique sur l’onomastique. Il nous apparaît au fil des travaux surfilant cette hypothèse que le nom de l’artiste et ses avatars — assonances, transformations apocopes, anagrammes, nombre de lettres, etc — génèrent l’oeuvre et la signent, voire l’assignent en filigrane, au gré des métamorphoses du nom et de l’oeuvre. Nous citons souvent comme emblématique la présence du prénom Marcel dans le titre de l’oeuvre majeure de Duchamp : La (Mar)iée mise à nu par les (cel)ibataires même.

Freud et le jeu du Fort/Da

Dans le cadre de cette Note nous revisitons le jeu de la bobine décrit par Freud dans Au-delà du principe de plaisir (1920)

Freud observe l’un de ses petits fils : celui-ci avait l’habitude d’envoyer loin de lui les petits objets qui lui tombaient sous la main en prononçant le son prolongé o-o-o-o-o qui constituait l’ébauche du mot fort (« loin » en allemand). Freud observe également chez le même enfant un jeu plus complet : tenant en main un fil attaché à une bobine, l’enfant envoie celle-ci dans son berceau en prononçant le même son o-o-o-o puis le ramène à lui en s’exclamant « Da ! » (« là »).

Freud relie ces jeux à la situation de l’enfant à cette période : une période où sa mère s’absentait pendant de longues heures. Le jeu symboliserait ainsi la disparition et la réapparition de la mère .(*)

Notre remarque est tout aussi succinte : en effectuant sa description du jeu du Fort-Da, Freud situe ce prototype de la maîtrise de la présence-absence (de la mère, du corps) sur laquelle se construit la psyché, entre la lettre initiale et la lettre finale de son patronyme. Le F de fort qui lance au loin est en effet le F initiale de Freud et le D de Da qui ramène la bobine coïncide avec la lettre finale. La description du Fort/da s’inscrit donc de manière tautologique dans un mouvement qui lance le nom de l’inventeur de la psychanalyse et le clôt sur lui-même. A l’image du corps de la mère, le nom FreuD sert de matrice à l’énonciation d’une forme dynamique en aller-retour entre la sixième et la quatrième lettre de l’alphabet.

Michel Jeannès - 19 avril 2009


(*) in Barbery Stéphane, Fort-da et phase du miroir
source: http://www.barbery.net/psy/fiches/fort-da-miroir.htm