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Notes pour une sémiologie de l’oeuvre-monogramme
à propos d’une page manuscrite de Marguerite Duras

Le cachet d'aspirine

(Première page manuscrite du récit : « Voici : j’ai l’entention d’écrire le récit intitulé : Le Cachet d’aspirine. En toute modestie je trouve ce titre énorme. »)


Une photocopie de cette page issue du fonds Marguerite Duras(1)nous est remise au titre de contribution à la « bibliothèque virtuelle de la Mercerie", constituée de passages littéraires ponctués par la présence d’un bouton. La contribution a été motivée par un passage biffé et donc supprimé par avance d’une éventuelle publication, en quelque sorte un bouton manquant :

« Son insignifiance me donne ce vertige bien particulier que l’on éprouve devant(2) (l’insignifiance apparente du monde des boutons de culottes, des bancs vides des jardins publics, des cyclistes, des chiens errants »).

rappel de la méthode

Notre méthode consiste à mettre en équation le patronyme de l’auteur (nom, prénom, avatars de ceux-ci : initiales, fragments...) et l’oeuvre dans le but de repérer certains analogons qui nous semblent organisateurs d’un texte-code sous-jacent à l’oeuvre.

Le Cachet d’aspirine, avec la polysémie induite par le mot « cachet » , entendu aussi bien comme « caché » qu’au sens de sceau (sous-entendu d’un secret ) nous apparaît faire lien tant avec ce bouton de culotte dont il emprunte la forme circulaire , la dimension, l’insignifiance, tout en lui redonnant, par l’occultation ou plutôt un non-perçage des trous nécessaires à la couture et à la territorialisation en bordure du vêtement, sinon du Pacifique. Le titre apparaît « énorme » par sa banalité tout autant par ce qu’il nomme sans dire, à savoir une disparition qui laisse le lecteur face à


Le récit que se propose de traiter Duras se passe dans un hôtel où l’on s’ennuie. Le petit garçon d’une femme est malade ; cette situation « éclate comme un coup de tonnerre » (3) dans l’atmosphère pesante. La maman inquiète se lève pour demander « quelque chose » à une autre femme. « aubaine, lueur d’espoir» qui va permettre de rompre la monotonie sans nom. L’on suppose, puisque le titre est posé, que le « quelque chose » sera le cachet d’aspirine(4) , cristallisation blanche de l’espoir de Mar-guérison, tant des maux de l’enfant que de la madr-inquiétude (5) qui permet de « lier con-naissance ».

Le mot « espoir » est prononcé, inscrit dans cette même page, première du manuscrit de ce texte à paraître traitant du parêtre et du manque à naître dont le guérir ne peut s’inscrire que sur la maladie de l’enfant , prétexte à un geste vers l’autre de la part de la mère. Enfant malade, qui vient peut-être figurer en filigrane le fils mort-né(6) , trace d’un bouton de culotte rendu à l’insignifiance. Pilule d’amour-guérite (7) que ce cachet de Duras-pirine(8) qui transfigure maux pour mots. Blancheur palimpsestueuse du cachet, point focal de la promesse de la levée de la douleur par l’écriture. Manuscrits qui s’effeuillent tels les pétales de cette fleur dont le coeur est régulièrement mis à nu par les amours peuplant les bancs vides dans les jardins publics.
Point nommé.

Michel Jeannès, 8 avril 2006

(1) Sources : archives Marguerites Duras, IMEC. in Le Magazine littéraire, n°452, avril 2006, p. 44

(2) ce « devant » suivi de rien puisque les mots sont , sur le manuscrit, biffés, recouverts, n’a grammaticalement plus lieu d’être; et pourtant il substiste, tel le fil d’un bouton perdu marquant une place en vis à vis d’une boutonnière, béance meublée dans le texte par un banc vide dans un jardin public. ( Le" jardin "public peut signifier, sur le plan de la graphie et de la phonie « Gia Din », lieu de naissance de l’écrivain.

(3) tonnerre/énorme : ton r nomme/ r de Du(r)as et de Margue(r)ite. Gutturale, lettre dure qui guérit (Mar-guérit), telle les digues de la mère contre l’envahissement des rizières par les flots salés.

(4)La grammapodie autorise un palindrome vertical de la lettre p se transformant en d ; ainsi « aspirine » devient « asdirine », antidote du « sadirien » purassien (d’où les durassiens errants, figurés par les chiens errants, eux aussi biffés avec les bicyclistes).

(5)Ce mot valise formé à partir du mot madre/mère en espagnol, recouvre l’in-quiétude maternelle et la première syllabe du prénom de l’artiste. Notons en parallèle que l’on retrouve dans le titre« le (MAR)in de (G)ibraltar », le sceau de MARGuerite.

(6)mort-né serait à entendre ici comme l’anagramme de « énorme » ( « En toute modestie, je trouve ce titre énorme ») . Il serait aussi intéressant d’explorer le passage du nom du père ‘( Donnadieu ) au nom d’artiste (Duras) en relation avec ce fils mort littéralement « re-donné à Dieu ».

(7) L’aspirine est particulièrement utilisé contre les céphalées, appelées aussi « migraine ». Le couple d’opposé MiGRAine/Guérit est un analogon du prénom MARGuerite.

(8) Au-delà du trivial calembour, nous pensons que le monogramme fonctionne ici en creux, dans la signification de l’absence(ab-sens). Le nom de l’auteur est, à l’image du cachet, proprement dissout dans le blanc, à la manière du procédé oulipien dit de « la belle absente »