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article de Eric Fottorino -Le Monde

article de Eric Fottorino -Le Monde

Guantanamo mercredi 5 novembre 2003 par Le Monde DANS LA MEME RUBRIQUE : M. Bush impose sa loi sur le traitement des "ennemis combattants illégaux" Canicule 2003 : 15000 morts et une belle plus-value pour financer les avantages fiscaux Bush dans toute sa splendeur Bolkestein revient... passons à l’action ! L’homme le plus dangereux du gouvernement La Ligue Odebi met en garde contre toute dérive théocratique de la société de l’information Le capitalisme de connivence Rhône-Alpes : la droite vend (encore) son âme au diable La politique étrangère de la France malade de la 5e République Un référendum pour le nouveau Traité européen ! Guantanamo ? Et pourquoi Guantanamo ? Quoi de neuf sous le soleil, à Guantanamo ? Justement, rien. Sur la base américaine de Guantanamo Bay louée par Washington à Cuba depuis belle lurette, il ne se passe absolument rien. Ah si, deux flics de Miami ont trouvé refuge là-bas après avoir neutralisé un dangereux narcotrafiquant. Mais, ça, c’est dans Bad Boys II, le film de Michael Bay qui vient de sortir sur les écrans, et dont Thomas Sotinel a écrit, dans les pages Culture de ce journal, qu’il valait mieux prendre deux comprimés d’aspirine avant la projection, "sous peine de migraines et de nausées". (Le Monde du 15 octobre). Migraines et nausées, ces mots sont aussi appropriés pour rendre compte de la situation "en vrai" à Guantanamo. Plus de dix-huit mois maintenant que 660 "ennemis combattants", c’est l’expression employée par leurs geôliers, 660 prisonniers issus de 42 nations dont la France, croupissent sur cette base américaine. Tenus au secret, ils ne savent rien de ce qui les attend. Ils ont interdiction de parler à un avocat. Ils n’ont plus de contact avec leurs familles. Ils ignorent tout des peines qu’ils encourent. S’ils seront jugés, et quand. Le statut de prisonnier de guerre couvert par la Convention de Genève leur est refusé. Sommes-nous à Cuba ? Oui, mais dans une principauté américaine, tout à l’est de l’île, dans cette partie où la géographie fait ressembler Cuba à la tête d’un requin marteau. Prenez une carte et regardez si vous croyez à un délire matinal. Alors ? Nous sommes d’accord, Guantanamo est dans la gueule du squale, n’en parlons plus. A Cuba, disions-nous. Ou plutôt dans une concession locative faite par une dictature à ce qu’on croyait être la plus grande démocratie de la terre, avec liberté d’opinion et respect des droits de l’homme. Toutes ces choses que l’on peut croire superflues quand on n’est pas cubain. Ou emmuré à Guantanamo. De là à penser que c’est à cause de l’air liberticide de Cuba que les prisonniers sont tenus corps et âme hors du droit, il ne faut pas exagérer. On se souvient avoir lu jadis de belles et puissantes réflexions de Montesquieu sur le lien existant entre le climat et la nature du pouvoir. Mais il nous semblait au contraire que, d’après l’auteur de L’Esprit des lois, plus le soleil était brûlant, plus les mœurs politiques et sociales étaient lâches. A Guantanamo, il fait chaud et tendu. Très tendu même. Les gouvernements australien et britannique ont publiquement protesté devant les violations du droit international perpétrées sur la base navale, à l’encontre de ces "ennemis"capturés pour la plupart en Afghanistan. Un avocat australien a parlé de torture à l’encontre de deux ressortissants de son pays qui auraient été obligés de se tenir les bras en croix sous le cagnard jusqu’à épuisement. "Ridicule", a répondu George Bush, qui sait ce que le mot veut dire. Les avocats de quatre détenus français ont saisi le Quai d’Orsay. Ils se sont entendu répondre que Paris agissait à ce sujet "dans une logique de discrétion". Un des avocats s’est demandé si cette logique de discrétion "ne serait pas le prétexte ou l’alibi d’une impuissance". Il a raison, non ? Éric Fottorino Article du Monde