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Un bus pris en otage :
les passagers sauvés par un certain Monsieur Bouton.

Cet après midi même sur la ligne 44 qui mêne au quartier de la Duchère, à hauteur de la gare Saint Paul et tout le long des Quais de Saône jusqu’à la mairie de Vaise, les oreilles des passagers ont été assaillies par les hordes de jurons proférés par quelques bouches d’adolescents en mâle de reconnaissance. Comme à l’habitude dans ce type de situation désagréable, personne n’a moufté, préférant éviter l’affrontement en laissant braire. Les trois adolescents, qui étaient installés sur les sièges arrière ont ainsi “niqué leur grand-mère et la mère de leur grand-mère” pendant tout le trajet.

A l’approche de Pont Mouton, un passager s’est levé et s’est dirigé vers le chauffeur pour demander un renseignement. Lorsqu’il se retourna, il aperçut le visage de l’un des adolescents et, pointant un doigt accusateur, lui fit signe qu’il l’avait reconnu. Au même moment, l’une des voix, celle qui avait molesté les oreilles et la pudeur des passagers dans l’espoir d’attirer un brin d’attention, changea de cible, délaissa le sexe de mère-grand devenu rouge comme un four à force d’être évoqué , pour ne plus s’adresser qu’ à un “bouton! Monsieur Bouton!!!”. Les paroles de la chanson ayant quitté le désagréable registre évoqué plus haut pour ne scander qu’ un objet sémantique connu de tous, rond et sans connotation agressive, l’atmosphère se détendit et les passagers purent s’apercevoir que , derrière le ténor matamore prêt à violer ses ancêtres pour affirmer son existence, se dissimulait un gamin espiègle jouant à cache-cache derrière un siège.

Le passager descendit en souriant, se promettant , lorsqu’il retrouverait les adolescents au centre social, de leur rappeler la situation. En attendant, “Monsieur Bouton”, jouant le paratonnerre, avait réussi à détourner la tension et à transformer cette prise d’otage sonore en un jeu . Gageons que la grand-mère pas niquée le resta pour le reste du trajet.

La Gazette de la Mercerie février 2002

Jeannès Michel, Zone d'intention poétique , La Lettre volée, Bruxelles, 2005, pp. 30-31