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photo d'écran -  contenu du programme des rencontres Oriente, quid novi?

Préambule à une définition de la méthode :

Outre notre discours en cours d’élaboration, et work in process au pied de la lettre , nous considérons comme materia prima les éléments qui nous sont transmis pour concrétiser la « commande ». Nous convenons de nommer « blason » la forme appelée à se développer à partir de cet incipit.

Pour l’élaboration de ce blason des FRAC du Grand Est, nous nous appuyons sur deux textes transmis par Béatrice Josse, directrice du FRAC Lorraine, et sur les éléments dialogués, transmis par courriel et définissant notre mission(1).
Ces textes , respectivement intitulés Tentative d’une géographie comparative ou Pourquoi l’herbe est-elle plus verte en Ecosse? et Tentative de définition d’un objet non identifiable et en perpétuelle mutation. ont été publiés dans des catalogues lors des expositions internationales du FRAC.

Notes pour une héraldique

L’héraldique est la science du blason, c’est à dire l’étude des armoiries ou armes. C’est aussi un champ d’expression artistique, un élément de droit médiéval et du droit d’ancien régime. L’héraldique s’est développée au Moyen Age dans toute l’Europe comme un système cohérent d’identification des personnes, des lignées et des collectivités humaines. Historiquement, l’héraldique est la science des hérauts qui dans les tournois annoncent les chevaliers en décrivant dans leur langue propre les armoiries qu’ils portent sur leur bouclier. Cette pratique fixait le lien entre le titulaire et ses armes et impliquait l’équivalence entre la représentation graphique (armoriée) et la description orale (le blason)

« Blason » est un mot d’origine obscure, qui vient peut-être de blâsjan (torche enflammée, gloire) ou de l’allemand blasen, sonner du cor. « Blasonner » signifie décrire des armoiries suivant les règles de la science héraldique. Au sens strict le blason est donc un énoncé, qui peut être oral ou écrit . L’art conceptuel présentant un statement pourrait donc être considéré, à ce titre,comme une réminiscence du blasonnement médiéval dans le champ spécifique de l’art.

Relevé d’indices

S’agissant du Grand Est comme « contrée à inventer », notre prétention n’est pas de fixer dans la langue héraldique ,que nous ne maîtrisons pas, des armes pré-établies peintes sur un écu,. Dans le cadre poétique qui est notre domaine d’action, nous tâcherons de relever des indices sémantiques susceptibles de faire image et configurer l’identité de cette communauté professionnelle et territoriale, aux « frontières floues » revendiquées.

Premier indice : du rapport 22/5

Les cinq FRAC du Grand Est se situent dans leur relation au nombre total d’institutions-soeurs, soit un regroupement de cinq institutions régionales sur un total de vingt deux maillant le territoire national, métropole, Corse & DOM compris.

Le nombre 22 présente des caractéristiques symboliques et sémantiques, voire sémitiques et mythiques, intéressantes à plus d’un titre :

22 est en effet le nombre de lettres — consonnes — de l’alphabet hébreu.

Au pied de la lettre, le rapport du nombre 22 au chiffre 5 peut évoquer celui de la Lettre au Livre, en particulier la Torah appelée Loi de Moïse ou Pentateuque — du grec pentateuhos, les cinq livres — qui contient la Genèse, l’Exode, le Lévitique, les Nombres et le Deutéronome.

Par un curieux effet phonétique, le Tarot fait reflet à la Torah, sans h aspiré toutefois. Dans ce jeu de cartes divinatoires qu'est le Tarot dit « de Marseille », le nombre 22 correspond au nombre d’arcanes majeures dites encore « Triomphes » ( Les autres cartes, arcanes mineures étant au nombre de 56). Le Tarot a une longue et mythique histoire qui remonterait au temps des Pharaons. Il s'agirait de 22 gravures transmises par le dieu Thot, messager des dieux auprès des Hommes. Moïse qui avait été recueilli par les égyptiens et élevé dans l'enseignement des prêtres aurait pris connaissance de ces tableaux et plus tard, lors de la fuite d’Egypte, transmis à son peuple sa connaissance sous forme des tables.

Les figures représentées sur les cartes des Triomphes constituent une authentique Biblia Pauporum à savoir une « Bible des Pauvres ». En jouant aux cartes, le peuple accédaient directement par leur intermédiaire à une connaissance du mysticisme chrétien et à son contenu dont les concepts étaient ainsi continuellement rappelés à leurs esprits, selon la méthode de l’ Ars Memoriae de l’époque.

Sur un registre métaphorique, la création des 22 FRAC et leur mission de transmission et d’éducation s’inscrit dans cette trame mythologique.
De manière anecdotique, le patronyme du ministre créateur de ces institutions — Jack Lang — à peine travesti par la consonance anglaise, place d’ailleurs la jactance (2) et la langue , organe du verbe par excellence, à l’origine de la création de ces 22 lieux de collecte et diffusion de sens. Il ne déplairait pas au dit serviteur de l’Etat de s’entendre comparer au messager des dieux auprès des hommes.

Dans la suite des arcanes, le nombre 5 correspond au Pape et représente l’autorité spirituelle, le guide et l’initiateur. Les sens divinatoires de cette carte, rapportées aux lieux, évoquent des lieux d’initiation, d’enseignement, des lieux publics de savoirs et de transmission de savoirs. La symbologie et la numérologie semblent donc participer au renforcement de la mission des FRAC du Grand Est, que nous pouvons aussi entendre comme Grand Test , c’est dire — en latin de cuisine : testari magnus — Grand Témoin de la création contemporaine.

Le rapport de 5 à 22 se retrouve dans la matérialisation des nombres par une figure géométrique.
5 et 22 sont des nombres « pentagonaux » : si l’on construit un pentagone — il aura donc cinq angles et cinq côtés — et qu’ensuite on reconstruise un deuxième pentagone autour du premier, en prolongeant l’un des côtés et en conservant la même distance, on obtient un deuxième pentagone totalisant avec le premier douze unités, puis, sur le même principe, en quelque sorte des poupées gigognes, un troisième pentagone figurant le nombre 22.
Ces nombres géométiques ont passionné Pythagore et ses disciples, pour qui tout élément dans la nature se rapportait à un nombre.

Enfin, pour boucler la boucle des relations entre chiffre et lettre — last but not least de la liste — le transcodage du mot CHEF selon le linotypistes — imprimeurs responsables de l’arrangement des caractères pour former le texte à imprimer — est égal à 22 . Ce jeu devient moins anodin si l’on souligne l’étymologie : chef, caput, cap désigne l’achèvement, le bout d’une chose matérielle ou abstraite. Le Grand Est pourrait donc être entendu, sur ce front-ci comme Grande Teste — grande tête — littéralement « couvercle » de la confédération toute symbolique des Fonds d’art .

Deuxième indice : de queue de pie ou de morue

de morue

Par homophonie, l’acronyme FRAC induit un calembour. Un frac est un habit de cérémonie, dit aussi queue-de-pie ou queue-de-morue. Cette dernière est connotée de trivialité : une morue est une prostituée, par assimilation au maquereau et à la maquerelle, mot altéré du néerlandais makelare(le courtier)(3) . Cette connotation a le mérite d’induire une tension entre la marginalité du milieu prostitutionnel et le très élitiste conformisme de la tenue de soirée, tension elle-même au coeur de l’art et son inscription dans le corps social.
La morue se conserve salée et « dessaler » en argot, signifie « rendre moins niais, déniaiser »(4) . La fonction de conservation des oeuvres ainsi que la mission pédagogique et d’éveil à l’art peuvent ainsi s’exprimer dans la queue de morue qui désigne aussi un pinceau plat utilisé par les peintres en bâtiment.
La pêche du bacalhao — poisson migrant au pied de la lettre puisque par métathèse(5), il est bacalhau en portugais et cabilhau en français — est liée à un toponyme particulièrement sayant à cette définition des FRAC du Grand Est : Terre-Neuve.

de pie

La queue de la pie est longue, ce qui rend son vol , pourtant lent et ferme, quelque peu aléatoire.
Sa couleur est le blanc et le noir, avec des reflets violets et verts . Un tableau de Monet est intitulé La Pie. Paysage de neige trop innovant pour l’époque — il joue sur les variations du blanc — il fût refusé au salon de 1869.

L’ancien nom de la pie est agasse, du grec agaô, regarder avec admiration, faisant allusion au regard attentif avec lequel la pie fixe les objets. La pie porte cette réputation d’être voleuse et attirée par tout ce qui brille, notamment les fragments de miroirs. La problématique du regard et de la valeur des choses, préoccupation essentielle des Fonds d’art contemporain, est donc portée par la pie. L’artiste Mark Dion, dans une oeuvre de 2004 intitulée Portrait of a collector, en a fait le prototype du collectionneur : sous une cloche de verre posée sur un guéridon, une pie veille sur son trésor, composé de tous les objets que l’artiste a perdus.
Le « nid de pie » est aussi le nom de ce panier en haut d’un mat où prenait place le gabier, la vigie, c’est dire le premier à crier « Terre ! terre » à l’approche de celle-ci.

La pie est est aussi nommée Margot ou Jaquette ; elle jacte. On dit des concierges qu’elles sont bavardes comme des pies et du commérage — terme emprunté au latin chrétien cum et mater, marraine, et lié au baptême (commeraige, 1546 ) — n’est resté que le jugement négatif sur le bavardage des femmes, l’un des thèmes antiféministes les plus anciens dans la culture médiévale bourgeoise » .

On immolait des pies à Bacchus, pour que le vin aidant, les langues se délient et les secrets s’échappent. Au croisement du vin et de la parole, la pie a donc un bel avenir dans la Critique du raisin pur, les résidences inter-régionales des FRAC du Grand Est.

Troisième indice : de vin

Le Saint Patron des Vignerons est Saint Vincent de Saragosse , diacre et martyr à Valence en 304 et fêté le 22 janvier. Il semble que son identification au saint patron des vignerons soit dûe au calembour « vin-sang » perpétuant le mystère chrétien de l’eucharistie. En Bourgogne, la Confrérie des Chevaliers de Tastevin a repris depuis 1934 la tradition des « tournantes» , passage de la statue du saint que la procession emmène de la famille ou la communauté qui l'a eu pendant un an à celle qui la reçoit pour l'année à venir. Par homophonie, Vincent réfère aux chiffres 20 et 100. Si le Tarot est jeu de 2.20, le vin se déguste dans un verre de 22 centilitres .

Le vin constitue un indice de culture commune aux 5 FRAC du Grand Est, compris dans ce travail de mise en synergie inter-régionale comme Grand Taste , c’est dire organe de la définition du « goût » d’une époque.

Le chiffre 5, par définition lié à cette entité géopoétique, en appelle à la définition de la « Quinte essence » , dite aussi « esprit de vin ».
La quinte-essence a partie liée aux alchimistes, précurseurs de la chimie et la médecine actuelle. Le mot est introduit par Mathieu de Vilain en 1265 ; il est la traduction du mot grec désignant chez Aristote l’éther ou cinquième élément. Dans la cosmogonie d’Aristote, l’éther occupe une place exceptionnelle car il se situe à proximité du divin, du bon. Classé premier corps, son essence est de se mouvoir sans cesse pour plaire à Dieu, ce qui le distingue des autres éléments. Le pouvoir symbolique et scientifique attaché à ce concept est très fort, dû à la liaison entre volatile et spirituel. Raymond Lulle (1232-1316) semble être le premier à attacher ce concept à la santé de l’homme. Son raisonnement repose sur l’impureté des quatre éléments de base et sur les corps qui en sont dérivés. L’homme voit sa santé altérée car il est lui-même un de ces corps. Pour le guérir, il faut introduire une médecine inaltérable et incorruptible. Il trouve cette vertu dans le produit de la distillation qu’il nomme esprit du vin ou eau de vie.

La distillation existait toutefois depuis les Egyptiens qui, bien que brasseurs et viticulteurs, réservaient les alambics aux parfums et à un fard pour les paupières à base d’antimoine. Le nom de l’ustensile — al ambik — a été donné par les Arabes et signifie le vase (imbix chez les Gréco-Egyptiens). Ils ont aussi baptisé le fard pour les yeux al khôl qui signifierait l’essence, le parfum.

L’essence s’entend sur le plan phonétique comme « les sens », au nombre de cinq : vue ouïe goût toucher odorat. Michel Serres, invité à parler du vin, fait l’apologie de celui-ci, dont l’organe est « le nez qui partage le verbe avec le vin » ; la polysémie du mot « sens » et du verbe « sentir » touchent tant à l’odeur qu’à la sensorialité et à la signification. Le nez, organe du sentir procède d’un « universel de la communication » et pourrait, à ce titre, parfaitement symboliser cet outil à catalyser et produire du sens, et développer les sens du public — y compris le sens critique — que sont les FRAC du Grand Est.

Il reste à porter à ces cinq-ci...un Grand Toast (6)

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Michel Jeannès 10 avril 2007


(1) Cette proposition a été réalisée comme contribution aux rencontres "Oriente, quid novi?" (à l'est, quoi de nouveau?), auditorium du Musée d'Art moderne et contemporain de Strasbourg,13 avril 2007. La mission a été définie par Béatrice Josse comme une carte blanche pour "inventer l' histoire, la géographie, créer le mythe" d'une contrée en cours de définition.
(2)v. intr. XVIe siècle, jaqueter. Dérivé de jaquette, un des noms dialectaux de la pie.Pop. Parler ; bavarder. Ils n'ont pas cessé de jacter.
(3) altéré en français : « maque l’art », c’est dire le soutien ; relation ambigüe du souteneur et de la prostituée, semblable à celle de l’art et l’agent qui régule sa libre circulation sans en avoir l’r.
Une autre altération de la prononciation de makelare se rapproche de « m’éclaire », ce que le makelare d’art se doit de faire dare-dare.
(nb.: Le mot "makelare" n'est plus employé que pour désigner les agents immobiliers).
(4)«Je vas te dessaler, grande morue» (in Emile Zola, Les Rougon-Maquart, in L’assommoir, p.187)
(5) du grec metatesis, permutation .
(6)Porter un toast : La tostée est une tranche de pain grillé placée au fond d'une coupe de vin qui circulait d'un convive à l'autre en l'honneur de l'invité. Celui qui vide la coupe en dernier peut avaler la tostée. Comme cette coutume a émigré en Albion au XIIème siècle le mot s'est anglicisé pour revenir en France au XVIII ème siècle sous la forme que nous lui connaissons de nos jours.