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Et, soudain, il songea à Lebrac, le général de l'armée de Longeverne, lorsqu'il avait capturé avec sa bande le chef ennemi, l'Aztec des Gués. On avait détaché avec méthode tous les boutons du malheureux, on avait prélevé les lacets de ses souliers, défait l'unique jarretière qui tenait l'un des bas. Puis, le prisonnier, en s'enfuyant, avait voulu montrer une dernière fois son mépris et son anatomie. Alors, on l'avait repris, refessé et relâché avec des sous-entendus terribles. Et quand l'Aztec des Gués, rejoignant la troupe des Velrans, avait constaté avec horreur l'absence de son pantalon, on avait entendu au loin l'armée des Longevernes défiler triomphalement avec pour drapeau la culotte déboutonnée en chantant : " Mon pantalon est décousu ! et si ça continue, on verra l'trou ... " En détachant un à un ses boutons, Louis Pergaud murmurait souriant : "Si j'aurais su, j'aurais pas venu !". D'un geste précis de vieil enfant, il jeta au milieu du passage le leurre de chiffons. Et comme il s'élançait dans l'espace libre, il fut frappé pleine poitrine par la balle qu'un oeil avisé et froid avait su retarder." A un moment, des gouttes de sang perlent de sa face, mouillant ses revers, ses manches, sa capote. Il n'a rien senti, il s'est tassé contre un rebord, a masqué tour à tour chacun de ses yeux. Le gauche lui renvoie un écran laiteux traversé de halos battants. A coups cadencés. Il a compris. Il s'est mis à ramper vers l'arrière. Pendant vingt ans encore, toujours plus gros, il fixerait de son oeil unique le cours obstiné des rouages, le cercle blafard des cadrans, la courbe mouvante des boutons de nacre ondulant sur des robes noires, et la ronde des yeux des hommes allumés par le balancier des hanches. André Daviaud, La terre à personne, L'Escarbille, Nantes 2005, pp. 32-33; 52 (Trouvé-choisi par Pascale Redureau)