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"Il arborait une veste rouge, vestige de son passage dans la cavalerie. Parée de boutons dorés et d'un galon, elle n'était fermée qu'au col, révélant une bedaine mal contenue par un gilet blanc. Il portait un pantalon blanc, des cuissardes, et, seule concession à la vie civile, un haut-de-forme noir, qu'il ne cessait de soulever devant les dames de sa connaissance, ou qu'il eût souhaité considérer comme telles." "Il jeta un regard de biais au manteau noir sans prétention de Mr Blake, et à sa propre redingote rouge aux boutons de cuivre étincelants que ses nièces astiquaient chaque jour." "Anne et Maisie étaient tout heureuses de pouvoir s'asseoir dans le jardin de Miss Pelham pour y fabriquer leurs boutons. " Qu'est-ce qui se passe ? demanda sa mère, penchée sur le bouton qu'elle confectionnait. Déjà fatiguée ? On vient tout juste de commencer. Tu n'en as fait que deux ! " "C'est pas ça. Tu sais bien que les boutons, ça me plaît." En effet, Maisie avait battu le record de la Piddle Valley en produisant cinquante-quatre boutons Blandford cartwheel dans sa journée - même si, comme Mr Case, le bonnetier, se plaisait à le rappeler à ces dames qui lui apportaient leurs boutons, une habitante de Whitechurch atteignait les douze douzaines dans le même temps. Pour Maisie, la seule explication possible étaient que les boutons de cette championne étaient plus simples et leur fabrication moins minutieuse que celles des cartwheels. Anne Kellaway demeura un moment silencieuse à contempler son bouton inachevé, répartissant le fil à l'aide de l'ongle de son pouce de sorte que le bouton finit par ressembler à une petite toile d'araignée. Satisfaite, elle le laissa tomber sur ses genoux où il rejoignit ceux qui étaient terminés, elle prit ensuite un nouvel anneau en métal qu'elle se mit à gainer de fil. Anne K.fronça les sourcils tout en continuant à recouvrir l'anneau du bouton. Depuis des années, Maisie et elle se livraient à cette activité durant leurs loisirs." "Maggie?" répéta Anne K. qui se leva à moitié de son siège en serrant dans ses mains les boutons qu'elle avait achevés. Puis comprenant de qui il s'agissait, elle se laissa retomber sur sa chaise. "Elle est pas ici." Les yeux rivés sur les genoux d'Anne K., Bet Butterfield ne semblait pas avoir entendu. " C'est des boutons, ça ?" Anne K. dut se retenir pour ne pas dissimuler les boutons sous ses mains. "Oui " "On boutonne, expliqua Maisie à sa façon. C'est qu'on en faisait toute la journée chez nous, dans le Dorset, maman a emporté son attirail quand on est venus ici. Elle pense qu'on va peut-être en vendre à Londres." Bet B. tendit la main. " Montrez-moi ça." A contrecoeur, Anne K. laissa tomber dans la paume rugueuse et rougeaude de Bet les boutons délicats confectionnés ce matin-là. "On les appelle des Blandford cartwheels, ne put-elle s'empêcher d'expliquer. "Mon Dieu sont-ils pas jolis ! murmura Bet B., en les remuant du bout des doigts. J'en vois sur les chemises de nuit des dames et j'y fais toujours bien attention quand je les lave. Vous avez utilisé un point de feston pour le bord ? " " Oui." Anne K. lui montra le bouton. "Après ça j'enroule le fil autour de l'anneau pour faire les rayons de la roue, puis je couds en points arrière autour de chaque rayon, pour remplir le moindre espace. Je rassemble tout ça au centre, je noue et le tour est joué ! "Maisie se serait bien gardée de leur adresser la parole à un moment aussi crucial, et elle resta dans la salle de séjour à fouiller dans la boîte où étaient rangées les fournitures nécessaires à la confection des boutons : anneaux de tailles variées, éclats de corne de mouton, balle de lin pour obtenir des boutons bien ronds, bouts de tissu pour les recouvrir, aiguilles fines ou épointées, un assortiment de fils de diverses couleurs et épaisseurs." "Rosie sait coudre, interrompit Maisie. Elle fabriquait des boutons avec moi. Oh ! Je suis sûre qu'on pourra l'aider !" "Maisie s'était d'abord réjouie de ce changement, mais depuis quelques temps elle regrettait ses boutons. Repriser les vêtements des autres n'avait rien de très satisfaisant comparé au plaisir de créer quelques chose avec trois fois rien - un joli bouton délicatement ouvré à partir d'un anneau et d'un bout de fil, par exemple." "J'ai bien failli aller vous trouver, toi et ta mère, tu sais, disait la femme. Je connais une dame qui veut une sorte de bouton que j'ai jamais vu, pour les gilets qu'elle tricote. Tu sais faire les High Tops ?" " Bien sûr que je sais ! cria Maisie. Je viens du Dorset, non ? Des boutons du Dorset pour une fille du Dorset ! " Sous l'effet du punch, sa voix était presque stridente." "Lorsque sa mère s'assit, Maisie interrompit son ouvrage, son aiguille suspendue au-dessus d'un bouton qu'elle confectionnait pour Bet B. qui lui avait commandé des Dorset High Tops." "Plutôt que de retourner chez elle, elle préféra finir l'après-midi chez les Kellaway, au coin de la cheminée, apprenant à confectionner les boutons High Tops sous la direction de Maisie. ... Maggie n'était pas particulièrement douée pour les boutons, mais elle préférait être occupée au sein de cette famille plutôt que de traîner dans un pub avec la sienne." " Une dizaine de Dorset Crosswheels achevés sur les genoux, elle envisageait de s'attaquer à des boutons de bottes. Fatiguée après avoir passé la nuit à aider sa mère avec la lessive, elle bâilla et s'étira avant de se remettre à l'ouvrage." - " Alors, vous revenez au pays, vous deux ? demanda-t-il. J'en ai rien entendu dire au village. On vous y attend ?" - " Non, ils ne savent pas, répondit Maisie. -"Vous revenez pour de bon ? Ton savoir-faire nous a manqué ! J'ai des clientes qui me les réclament, tes boutons, tu sais !" ... C'est le bonnetier qui fait sa tournée. Il passe chaque mois prendre les boutons." "... il perçut au loin un bourdonnement confus de voix, ponctué de cris d'enfants. Il n'y prêta guère attention, ayant déjà entendu cela dans l'après-midi, lors du passage du bonnetier ; l'homme était reparti depuis longtemps, mais il était possible que sa visite fût à l'origine de ce nouveau brouhaha. Sans doute deux voisines n'étaient-elles pas d'accord sur l'évaluation de leurs boutons par le bonnetier : qualité supérieure, ordinaire ou second choix. Les femmes de la vallée étaient fières de leur travail et voulaient qu'il fût apprécié à sa juste valeur ; toute remarque désobligeante était susceptible de dégénérer en guerre ouverte." " Où comptes-tu aller maintenant, toute seule dans le noir ?" Maggie tapota le livre contre la paume de sa main. " Je comptais rattaper le bonnetier à Piddletown et lui proposer de confectionner des boutons pour couvrir les frais de mon retour à Londres." Tracy CHEVALIER, L'innocence, La Table Ronde/ Quai Voltaire,Paris, London 2007, pp. 20,114,145,146,152,164,221,254,266,311,315,339,371,377,388 (Trouvés-choisis par Pascale Redureau)