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" - J'ai pris le café que je comptais lui offrir et l'ai avalé en trois gorgées, tout en réfléchissant au portrait contradictoire qu'il avait tracé de ma visiteuse. J'avais du mal à voir une millionnaire atrabilaire sous les traits angéliques de cette petite grand-mère cintrée dans son tailleur sans âge. Je suis revenu en boutonnant ma veste. Lorsque je l'ai invitée d'une voix exquise à prendre un siège, elle a poussé un soupir contrarié." "- Vous êtes ponctuel me dit-elle sur un ton de reproche. - Pardon. - Il faut se faire désirer, dans la vie, mon ami. Venez me boutonner, puisque vous êtes là. J'entre à sa suite dans une sorte de bureau encombré de paperasses et de cartons qui évoque l'arrière-boutique d'un brocanteur. D'un geste élégant, elle rabat le plaid sur l'oreiller qui transforme en lit un divan de salle d'attente, puis me présente sa nuque. Je pose mon bouquet sur un coin de table, et je ferme le haut de sa robe." "Caresse-moi, dit-elle très fort. Debout à un mètre d'elle, je m'absorbe dans le motif de dentelle bleue entre les boutons de son chemisier, et je l'entends gémir sous la caresse de mes cils." " - Embrasse-moi. J'entoure ses épaules, pivote, approche mon visage du sien. Sa bouche s'empare de mes lèvres, de ma langue, ses dents pincent et mordent, ses mains font sauter mon bouton de col en se glissant dans mon dos. Je me presse contre elle pour qu'elle sente l'état dans lequel me met sa voix, sa présence, sa révolte. Je perds l'équilibre dans le moelleux des sièges et cogne son genou contre la portière." Didier van CAUWELAERT, La Demi-pensionnaire, Albin Michel, Paris, 1999, pp. 17, 38, 64,92 (Trouvé-choisi par Pascale Redureau)