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"Gillian a bu son Kilia-Ora et est en train de prendre sa revanche sur le monde. Jouant avec la boîte de couture de ma grand-mère, elle y choisit un bouton, un bouton de verre rose en forme de fleur et, lentement et délibérément, l’avale. C’est le mieux qu’elle puisse trouver pour remplacer les bonbons inconsidérément promis par sa mère dans les jardins du Musée. « Alice découpe la pâte, la façonne, la place dans des moules métalliques, couvre les moules de chiffons humides et met la pâte à lever sur le fourneau. Par ce temps, ce ne sera pas long. Sous son tablier blanc, elle porte une jupe d’épaisse serge gris foncé et un chemisier rose délavé avec des boutons de verre rose en forme de fleurs. Des marguerites. » « La pauvre Alice se trouve réaspirée dans la vie, véhiculée d’autorité à travers le ciel bleu et brutalement projetée contre la chambranle de la porte. Vlan ! Nell, le bébé encore invisible, frappe du pied à l’intérieur en parfaite coordination avec les hurlements de l’enfant sous la table, qui alors qu’Alice le soulève pour essayer de le consoler, lui saisit les cheveux tout en tirant sur les trois boutons de verre de son chemisier. » « Le sort des trois boutons se résume comme suit ... Le premier fut trouvé le soir même par Ada, qui le fourra dans la poche de son tablier. Quand le tablier fut envoyé au lavage, elle transféra le bouton dans une petite boîte où elle conservait ses menus trésors (un ruban rouge, un morceau de fil d’or trouvé sur le chemin de l’école). Quant Alice disparut pour toujours, Ada sortit le bouton de la boîte, l’attacha à un fil de soie et le porta ainsi au cou. Quelques mois plus tard, la vilaine belle-mère, Rachel, rendue furieuse par les larmes et l’expression butée d’Ada, lui arracha le bouton du cou. Malgré tous ses efforts, Ada ne put le retrouver et sanglota toute la nuit, comme si elle avait perdu sa mère une deuxième fois. Le deuxième bouton fut trouvé par Tom, qui le transporta dans sa poche pendant une semaine, avec un marron et une bille. Il avait l’intention de le restituer à sa mère, mais il le perdit et ne tarda pas à tout oublier. Le troisième fut découvert par Rachel lorsqu’elle fit le ménage complet du cottage après y avoir emménagé. Il s’était logé entre deux dalles du carrelage. Rachel le mit dans sa boîte à boutons, d’où il fut transféré, bien des années plus tard, dans celle de ma grand-mère – une boîte métallique des chocolats Rowntree – pui, de là, dans l’estomac de Gillian – et qui sait où, ensuite ? » « De l’étage vint le vagissement du bébé, suivi des cris plus articulés d’un autre enfant. Rachel les ignora ; ils allaient devoir apprendre qu’elle n’était pas à leur service. Pour le moment elle avait un carrelage à frotter. Quelque chose luisait entre deux des dalles, au faible soleil de novembre. Rachel extirpa l’objet de son logement. C’était un bouton – un bouton de verre rose ressemblant à une fleur, qui avait appartenu à Alice, sans aucun doute. Rachel le glissa dans sa poche afin de le mettre ultérieurement dans sa boîte à boutons. Tout ce qu’Alice Barker avait dans la sienne, c’était une pièce à l’effigie de George IV et un cachou à la violette. C’était ce genre de femme. » Atkinson Kate, Dans les coulisses du Musée, de Fallois, Paris, 1996, p. 25,34,37,38-39,124-125 (Trouvé-choisi par Elodie Jamey)